« Je filme depuis toujours », disait Jeannine Boitelle en 2017.
En 8 mm puis en Super 8 mm, Jeannine filme, en effet, dès le début des années 1950, sa famille, ses voyages, mais aussi sa vie quotidienne dans les différents pays d'Afrique où elle a vécu.
Née en 1929, dans la ville de Tuléar, à Madagascar où son père s'était expatrié dés le début du siècle, Jeannine fait ses études entre l' « île rouge », Paris et le Sénégal, suivant ses parents et ses 7 frères et sœurs au gré des lieux où était affecté son père, « agent-voyer ». Après un premier mariage, la naissance de ses deux enfants et quelques années à Abidjan auprès de ses parents, Jeannine part avec son second mari, Roland, un banquier, vivre au Cameroun. S'en suivront entre autre le Niger, le Togo, la Centrafrique, les deux Congo et le Gabon. Le couple ne quittera le continent africain qu'au début des années 1980 pour s'installer dans le Sud de la France.
Secrétaire d'Hamani Diori au Niger, puis du président du Togo Nicolas Grunitzky en 1963, engagée dans divers projets culturels à Bangui et adjointe au maire de Solliès-Pont lors de son retour en France, Jeannine Boitelle, dont le parcours fut exceptionnel, n'a jamais cessé de filmer. Le fonds déposé, riche de plus de 60 films, s'il permet d'approcher le destin de cette femme et d'atteindre le quotidien d'une famille d'expatriés en Afrique, apparaît également comme une source importante pour la mémoire du cinéma amateur féminin. Jeannine Boitelle offre en effet, à l'heure où la pratique du cinéma était encore largement masculine, un regard singulier sur l'histoire coloniale et post-coloniale en train de s'écrire.
Jeannine s'est marié en 1949 à Paris avec celui qu'elle nomme « Nini », comptable au Dakar-Niger. Le couple s'installe rapidement au Tchad où Jeannine donne naissance à Jean-Paul, son premier enfant. Dans ce pays d'Afrique centrale, protectorat français depuis 1900, devenu colonie française dans le cadre de l'Afrique équatoriale française en 1920, Jeannine tourne ses premiers films au plus près des populations tchadiennes rencontrées et semble parfois faire œuvre d’ethnographe. Les cadrages serrés sur les visages, les plans larges sur les villages et l'attention portée aux gestes donnent à ces films une certaine valeur ethnographique.
Tchad, 1953
Film 8 mm, couleur, silencieux
Après la naissance à Paris de son second fils, Dominique, en 1951, Jeannine retourne au Tchad où elle travaille comme secrétaire aux Travaux publics. Mais l'entente avec « Nini » n'est plus au beau fixe, le couple divorce et Jeannine part s'installer à Abidjan auprès de ses parents en 1954. Là-bas, Jeannine explique vivre surtout en « femme libre », elle fréquente les « bals mixtes où Noirs et Blancs peuvent se côtoyer, danser ensemble. »
Brousse, Abidjan, (Côte d'Ivoire), 1955
Film 8 mm, couleur, silencieux
Engagée comme secrétaire à la B.A.O. (Banque de l'Afrique Occidentale) à Abidjan, Jeannine fait rapidement la rencontre de Roland avec qui elle se marie en 1958. Le couple s'installe d'abord au Cameroun où Roland est nommé, puis au Niger. Là-bas, Jeannine fait la rencontre d'Hamani Diori, figure de l'indépendance et premier président de la République du Niger en 1960. Jeannine devient « la première secrétaire particulière » d'Hamani Diori et « apprend beaucoup avec lui, explique-t-elle, sur la politique, sur le socialisme ». Présente à Niamey lors des fêtes d'indépendance, sa caméra capte ce tournant historique. Quelques années plus tard, en 1965, alors qu'elle est installée à Bangui, les fêtes d'indépendances qui se tiennent dans la ville sont l'occasion d'une mise en scène intrigante de la part de la cinéaste.
Niamey, (Niger), fêtes d'indépendance, années 60
Film 8 mm, couleur, silencieux
Bangui (République Centrafricaine), Indépendances + Cauchemar, 1965 Film 8mm, couleur, silencieux
Film 8 mm, couleur, silencieux
Après un passage par le Togo, Jeannine et Roland s'établissent pour plusieurs années à Bangui. Jeannine travaille à l'ambassade de Belgique comme « chargée d'affaires » et le couple habite un logement de fonction au-dessus de la banque. En Centrafrique, Jeannine filme beaucoup et grâce à un ami, Pierre D. de l'INRA qui vivait à Boukoko, la cinéaste a pu notamment filmer les pygmées, « il leur a parlé dans leur langue et ils ont accepté de venir vers nous ».
Bangui (République Centrafricaine),1963-1964
Film 8 mm, couleur, silencieux
Forêt primaire, Pygmées, années 60
Film Super 8 mm, couleur, silencieux
Jeannine a toujours vécu entourée d'animaux. A Tuléar, parlant de sa soeur cadette, « nous avons un lémurien qui fauche les biberons de Jacqueline et monte en haut du gros arbre où il boit, et d'où il jette les biberons ! » Naturellement, elle n'a cessé de les filmer. Si elle s'est amusée dans un des films du fonds, à mettre en scène ses chats « Poupette et Chiffon » dans des situations parfois insolites, Jeannine filme également les nombreux animaux sauvages qui peuplent les différents pays où elle a séjourné. Ainsi, la visite du parc national de Waza, situé au Cameroun fut l'occasion pour Jeannine de fixer pour longtemps cette faune si riche.
Film des chats, années 60,
Film 8 mm, couleur, silencieux
Waza (Cameroun) – Libreville (Gabon)
Film Super 8 mm, couleur, silencieux
Aïkido, natation, ski nautique, nombreuses sont les activités pratiquées par la famille et filmées par Jeannine. S'ils témoignent d'un certain goût pour les activités d'extérieurs, ces images nous documentent également sur l'organisation du temps libre de cette famille installée en Afrique et l'existence des différents lieux de sociabilités principalement fréquentée par des familles européennes expatriées.
Ski nautique Bangui , années 70
Film Super 8mm, couleur, silencieux
Le fonds comporte, en outre, plusieurs films de voyage, au Portugal, en Egypte, en Inde et au Mexique notamment. Loin d'être de simples films de tourisme où la cinéaste compile différents plans de monuments et paysages, Jeannine semble porter une attention particulière au quotidien, aux manières de faire et de vivre des populations locales. La caméra saisit en effet les gestes ancestraux des pêcheurs de Nazaré, le savoir faire des tanneurs de Fès et les déambulations d'hommes et de femmes dans un bidonville de Bombay. Cette attention portée au plus ordinaire donne à ces films de voyage un relief particulier et témoigne d'un certain souci de l'Autre (déjà présent dans les premiers films de la cinéaste) – cf. Tchad).
Pêcheurs de Nazaré, Portugal, années 70
Film Super 8mm, couleur, silencieux
Inde du Sud – 1ère partie, années 70
Film Super 8mm, couleur, silencieux
Egypte, années 80
Film Super 8mm couleur, silencieux
De retour en France en 1980, Jeannine et Roland s'installent à Solliès-Pont, petite commune du Var, près de Toulon. Si Jeannine, qui n'a jamais réellement vécu en France, se sent à son arrivée « foncièrement africaine », elle semble toutefois s'inscrire rapidement dans l'environnement de sa nouvelle ville. Devenue propriétaire d'un petit commerce, elle fait la rencontre de Daniel B., fondateur du festival « Terre et Nature » et participe activement à l'organisation du festival, même si, explique-t-elle « on est dans ces années là, au début de la sensibilisation écologiste, et ce n'est pas toujours compris ! » Jeannine, très impliquée dans la protection de la nature, représentera en 1994 "Génération Ecologie" aux élections cantonales et deviendra en 1995 1ère adjointe chargée de l'environnement à la mairie de Solliès-Pont.
Mise en cage – mise en sachet et récolte
Film Super 8mm, couleur, silencieux
Texte et extraits des films sélectionnés par Clara Le Gonnidec, étudiante en Master Histoire, civilisation, patrimoine à l' Université d'Aix-Marseille, et que nous remercions vivement pour son aide précieuse pour la documentation des films de Jeannine Boitelle, lors de son stage à Cinémémoire de janvier à mars 2020.
Merci à Philippe Houssin, neveu de Jeannine Boitelle et déposant des films et interviews de sa tante à Cinémémoire, pour toutes les informations qu'il nous a transmises sur les films de sa tante et sur l'histoire de sa famille.
Voir le dossier thématique "Femmes cinéastes amateurs"
La numérisation et la documentation des films de Jeannine Boitelle ont été réalisées grâce au Programme national de Numérisation et Valorisation des contenus culturels du ministère de la culture, que nous remercions!